30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 10:07

Il est des sons, il est des mots, qui, de poitrines en poitrines, traversent les millénaires ; nous les prononçons tous les jours sans les entendre. Aux origines, ces cris, ces racines vibrantes désignaient abruptement la vie et les éléments. Tels des fossiles, certains de ces radicaux nous sont parvenus ; ainsi la grande fratrie des Bal, Kal, Clap, Gar ou encore Kab qui toutes évoquent la pierre.

Comme des cellules premières, ces formes se différencièrent dans l’espace et au fil des temps ; chez nous elles migrèrent à travers les parlers ligures, le latin puis le provençal. On peut les retrouver aujourd’hui cristallisées dans des lignées de noms propres ou communs relatifs au relief : Les Baux, une calanque, un clapier, la garrigue. Dans sa langue et ses toponymes, la Provence conserve nombre de ces radicaux archaïques ; le terme Cavaillon est un exemple parmi bien d’autres.

Issu de la vieille souche pré-indo-européenne Kab, le substantif commun kal/kabe désigna le rocher, la colline que nous appelons à présent St-Jacques, puis sans doute par glissement l’occupation humaine établie en ce lieu.

 

Vers 600 ans avant notre ère, les Grecs de Phocée fondent Marseille tandis que les Celtes s’infiltrent parmi les autochtones ligures : bientôt le Kabel sera cavare.

Etrangers mais de consonance voisine, l’ethnique cavare et le vieux toponyme vont se superposer. De cette confusion, naîtront plus tard bien des erreurs, au point d’attribuer aux Cavares l’origine même de la cité. Alliés de Marseille, les Cavares ouvrent largement leur territoire à l’influence grecque ; le Kabel qui commande le passage de la Durance devient alors un comptoir de premier plan. Décrivant ce contexte voilà vingt-deux siècles, un voyageur et géographe grec, appelé Artémidore d’Ephèse, note qu’Avignon et Kabellion sont des cités de Marseille. Pour la première fois, Kabellion, la ville du Kabel, apparaît dans un texte. Elle sort de l’oralité, vêtue à la grecque (1).

C’est sous la légende Kabe que Kabellion frappe sa première monnaie ; c’est avec l’alphabet grec et dans cette culture que vont s’exprimer ses élites.

 

Pendant ce temps en Narbonnaise, Rome aménage, Rome construit et, petit à petit, étouffe Marseille, son ancienne alliée. Après la chute de celle-ci en -49, Kabellion devient romaine. Sommée de prendre la toge, la ville du Kabel y perd son kappa et sa consonance grecque ; elle sera et pour longtemps Cabellio la latine.

Le toponyme Cabellio va survivre à la chute de l’Empire. Préservé par les clercs, il triomphera des invasions et des bouleversements du haut Moyen-Âge ; seule la confusion des sons V et B affectera sa prononciation ; ainsi apparaîtra Cavellio. On le retrouvera presque intact dans la langue des troubadours, sous la forme occitane de Cavalhon.

Le nom de la colline, lui, souffrira de la christianisation des lieux de culte païens. Le vocable et le rayonnement de la chapelle Saint Jacques (Sant Jaume en provençal) auront finalement raison de l’appellation tardive et ambiguë de Mont Caveau. En effet, la transcription française caveau rendait mal la forme populaire cavel/cavèu ; plus grave, elle en inversait le sens (passage d’une hauteur à une profondeur), ce qui conduira à des impasses étymologiques telles que le Caveau, montagne des cavernes (2) !

Caché par sa ruralité, un autre témoin existe encore : Cabédan. Ce toponyme dont je cherchais le sens depuis si longtemps ne s’éclaire t-il pas soudain au contact de Kabe ? Notre vaste quartier de Cabédan ne serait-il pas une portion du territoire antique de la cité, et plus précisément la survivance d’un ancien découpage colonial ou fiscal ?

Kab, Kabel, Kabellion, Cabellio, Cavalhon... Mystérieux destin d’un balbutiement d’humanité qui, de dépassement en dépassement, poursuit son évolution. Cavaillon n’en est qu’une étape.

 

Robert Sadaillan

 

(1) Ecrivant à la fin du IIe siècle avant notre ère, Artémidore d’Ephèse évoque sans doute une situation déjà antérieure à cette date. Cette citation nous parviendra par l’intermédiaire d’Etienne de Byzance, écrivain byzantin du VIe siècle après J.C.

(2) Exemples de parenté et de pièges linguistiques :

- deux quartiers hauts de Marseille portaient autrefois le toponyme Cavaillon. On rencontre aussi ce nom dans deux villages du Var ;

- en agronomie, un cavaillon est une levée de terre comprise entre deux sillons, butte que l’on ôte au moyen d’un outil appelé décavaillonneuse. Inusités ici, ces deux derniers termes paraissent d’origine languedocienne.

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