2 mars 2013 6 02 /03 /mars /2013 21:45

Né le 18 décembre 1726 à Cavaillon, fils d’Antoine, maçon qui travaille à l’attique de l’hôtel de ville et de Thérèse Farland, André Hyacinthe Sabatier voulant se perfectionner dans l’art d’écrire va à Paris en 1752 ; il devient le précepteur d’un des fils naturels du prince de Soubise et publie « Odes nouvelles et autres poésies ».

Grâce à son talent, il est admis dans les meilleurs cercles et salons. Ses écrits plaisent plus que ses poésies lyriques. On lui doit un « Poème sur la bataille de Lutzelberg » (1758) où le prince de Soubise, Charles de Rohan, bat l’armée de Hanovre, une Ode à Mgr le Dauphin sur le bonheur des Peuples (1766) et « Le discours sur le préjugé qui note d’infamie les parents des suppliciés » (1769) ; ce texte sera reconnu comme l’une de ses meilleures productions. Bref, ce méridional se fait une bonne réputation dans les milieux littéraires. Surnommé « le Pindare (1) cavaillonnais », Sabatier est nommé professeur d’éloquence au prestigieux collège royal de Tournon de 1768 à 1776, après la suppression des Jésuites en 1763. A l’arrivée des Oratoriens en 1776, le professeur retourne à Paris où il est pensionné du roi.

Malheureusement les espérances qu’il laissait promettre par ses œuvres ne l’élevèrent pas très haut. La critique d’alors est partagée. Pour l’un « depuis Rousseau aucun poète n’avait touché avec plus de succès ». Pour l’autre il écrit « dans un style, froid, amphigourique, sec… ».

Mais c’est aussi un Provençal ; il écrit : « La France a d’autres provinces chansonnières… Il n’y a point d’idiome en France plus riche, plus doux, dont les mots soient si expressifs, si pittoresques, & par conséquent plus propres à la Poésie, que le Languedocien…».

Toujours lyrique, il écrira une « Ode à la ville de Marseille, au sujet de la statue équestre qu'elle doit élever au roi dans la principale place formée sur le terrain de l'arsena », « une Oraison funèbre » à la mort de Louis XV. Ses œuvres portent aussi sur « Humbert II ou la Réunion du Dauphiné à la France ». Des Discours, des Odes en chant complètent sa prolifique production…

Collaborateur du « Journal de la Langue Françoise » qui le salue dans son premier numéro de 1784, il sera le maître du révolutionnaire exalté Charles Barbaroux.

La Révolution le trouve dans sa ville natale où il se laisse entraîner par les idées du moment. Il a 67 ans. C’est un homme de grande taille, 1,76 m aux cheveux gris, les yeux bleus, un petit nez et une bouche moyenne dans un visage rond ; il habite rue Egalité (rue Raspail).

En 1794 il fait partie du sévère Comité de Surveillance dont les douze membres ont été choisis par le rigoureux représentant en Mission, Etienne Maignet parmi les patriotes ; ils traquent les émigrés et suspectent les négligents. La Révolution aime les discours enflammés, flatteurs avec des références classiques ; c’est l’affaire de Sabatier ; il en prononce un, « vraiment digne de la sublimité », relatif à l’Être Suprême qui sera imprimé dans le Courrier d’Avignon . Son engagement politique lui permet d’obtenir un certificat de civisme dont il a fait « la preuve sans équivoque». Son autorité et sa renommée aident à la libération de détenus dont l’épouse du maire Dupuy, enfermée à Avignon.

La détérioration d’un arbre de la Liberté, est l'occasion pour Sabatier de partir dans des envolées lyriques propres à réchauffer les âmes tièdes : « Un cri d’indignation a retenti dans toute la commune, l’arbre sacré de notre régénération a été outragé ; la Liberté en deuil a gémi un instant couvert d’opprobres et tous les vrais enfants, pénétrés d’une douleur profonde, l’ont exhalée par des gémissements sincères qu’ils ont déposés dans le sein de leurs magistrats en invoquant la vengeance nationale sur les mains sacrilèges qui ont osé attenter dans les ténèbres à l’auguste symbole de leur divinité favorite ».

Le 3 août 1794, le représentant en mission Maignet, « instrument sans pitié du Comité de Salut Public », met en place les nouvelles autorités municipales. Cette épuration installe des citoyens choisis après enquête parmi « les patriotes, les plus énergiques pour réorganiser les autorités constituées de Cavaillon ». Sabatier sera le premier désigné.

On a beau changer les hommes, les problèmes demeurent ; les réquisitions continuent. Prévue par roulement de deux décades, Sabatier laisse régulièrement sa place, « le temps de la Présidence ayant expiré », le 23 août 1794.

Pendant son court mandat, il s’adresse ainsi à ses collègues : « Citoyens collègues, vous avez été pénétrés de l’indignation la plus vive au récit des attentats du Catilina de la France, Robespierre; cet homme audacieux autant qu’hypocrite n’avait renversé le trône des Capet que pour s’y asseoir; et vous avez applaudi à l’énergie du courage, à la grandeur et à la sagesse des mesures de vos représentants qui ont su rendre vains les efforts du tyran et de ses complices. Je propose une adresse de félicitations à la Convention Nationale pour avoir découvert la conspiration de Robespierre et le juste supplice des conjurés ».

On peut s’étonner de la place occupée par le poète. Il faut savoir que d’une part Mainier entendait mener une politique culturelle et que d’autre part, un de ses commissaires les plus ardents, Jean Antoine Ruchon, un Cavaillonnais était le propre neveu de Sabatier (fils d’Angélique, sœur d’André).

Sabatier part ensuite en 1796 à l’Ecole Centrale du Var comme professeur de Belles Lettres, puis professeur d’Histoire et d’Humanités à celle de Carpentras. Ces établissements nouvellement créés engagent des professeurs de valeur. Le rhétoricien continue à s’intéresser aux beaux discours ; dans celui de la distribution des prix de l’Ecole Centrale du Vaucluse en l’an VI, il salue le génie grec. En 1801, ces Ecoles deviennent Lycée ; Sabatier qui a 75 ans se retire à Avignon chez son neveu Ruchon.

Une nouvelle académie, l’Athénée, y est fondée en 1801. Sabatier, « dont le zèle et les connaissances distinguées honoreront cet établissement », est l’un des membres fondateurs ; il continue d’écrire, en particulier lorsque l’Athénée décide d’élever à Fontaine de Vaucluse une colonne en l’honneur de Pétrarque. Il pense même à un opéra sur cet auteur qui pourrait être confié à Méhul.

Puis sa santé s’altère au point qu’il ne peut venir lire ses poèmes à l’Athénée. Membre de l’Académie des Belles Lettres de Marseille, correspondant de la société agricole, commerciale et littéraire de Carpentras, le gouvernement lui accorde une pension annuelle de cinq cents francs payable de mois en mois sur la caisse du Trésor. Il n’en jouit pas longtemps puisqu’il meurt le 16 août 1806, 6 rue Viéneuve chez son neveu à qui il laisse une petite fortune. Son talent lui valut de figurer sur le Dictionnaire Universel du XIXe siècle. Ses œuvres, étalées sur près de trente ans ont été imprimées en deux volumes à Avignon en 1779.

André Hyacinthe Sabatier avait de l’intelligence, de l’éloquence et de la générosité. C’est aussi un parisien. Même s’il a écrit un « Discours touchant de l’influence de l’agriculture sur les mœurs », il reste loin des réalités. Sa conviction dans un nécessaire changement de société l’a amené à prendre pendant un court temps des responsabilités politiques, mais il reste un poète qui écrit avec facilité et bon goût.

 

                                                                                                               Jean Giroud   


(1) Pindare, poète lyrique grec (500 av. J-C).

(2) Il y déclare, après avoir traité le clergé « d’infâme corrupteur, hommes tirés du bourbier des vices » : « Être des Êtres, ne permet pas que les vices et les erreurs viennent ternir ton image ».

(3) Maignet se fera connaître pour sa cruauté à Bédoin et à Orange (plus de 300 guillotinés).

 

 

 

 

 


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